With Navi Radjou: Author of Jugaad Innovation -a best seller

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With Navi Radjou: Author of Jugaad Innovation -a best seller

Reading Time: 16 minutes

JugadNavi Radjou , author of the best seller ‘ Jugaad Innovation’, Silicon Valley strategist and fellow at, University of Cambridge, and a World Economic Forum faculty member, talks to me ,  for an hour on  innovations and resilient economies , inclusive societies and sustainable development  strategies. Alexandre  Seviran, upcoming French thinker organized and facilitated the interaction.   Navi is  based in Silicon Valley. He is a Fellow at Judge Business School, University of Cambridge, and a World Economic Forum faculty member. An Indian-born French national, Navi studied in Ecole Centrale Paris, and also attended the Yale School of Management. Here is transcript pod our discussion in French :

Des économies résilientes pour des sociétés inclusives

Echanges entre Ravi Nadjou et Rajendra Shende

Rajendra Shende

Chimiste de formation, Silicon (en français Silicium) aura longtemps été pour moins un des éléments du tableau périodique des éléments de Mendeleiev, table classificatoire des atomes terrestres connus ; jeune jamais je n’aurais penser qu’il puisse avoir sa propre valley ! Grande surprise, donc, de me retrouver présentement devant un des éminents représentants actuel de ce lieu mythique depuis les 90’s et terre d’accueil et d’élection du génie indien. Mr Nadjou, vous me voyez enchanté de vous entendre me présenter votre déjà international best-seller, « l’innovation Jugaad ».

Ravi Nadjou

Je vous remercie de votre bon accueil. Jugaad est, comme vous savez, un mot hindi qui s’applique à toutes les situation où sont mobilisés par les individus du commun leurs facultés d’adaptation, d’improvisation et de génie créatif dans l’objectif de résoudre, par des solutions efficaces, leurs problèmes du quotidien. Cet état d’esprit dessine aujourd’hui un nouveau chemin de développement pour répondre aux besoins grandissants des populations en préservant le monde et ses ressources de plus en plus rares. Jugaad est aussi un moyen de répondre à sa complexité croissante qui frise la saturation et l’inintelligible ; il s’avère pour les grands groupes, pourtant dotés des moyens et des outils nécessaires à sa déconstruction et compréhension, une méthode complémentaire utile et pertinente de résolution de problèmes fondée cette fois, non sur la performance brute, mais sur les valeurs terre à terre de flexibilité et de pragmatisme

Economie de la ressource, le cas de l’eau

Rajendra Shende

Intéressant concept surtout quand on sait qu’à mesure où elle simplifie le monde, la technologie gagne en complexité. J’évoquerai le problème semblable que nous avions à résoudre à l’UNEP où nous défendions des politiques dites de ressource efficiency, et où nous inclinions les entreprises et collectivités à produire plus avec moins. Cette méthode se voulait en rupture de la théorie économique classique qui ne considérait alors comme seulement important la quantité et la qualité de ce qui était produit et négligeait, sauf comme centre de coûts, les inputs (entrants ou matières premières). Jugaad, d’après les présentations que vous en avez faites sur ce forum, me semble inscrire toutes démarches d’innovation dans un cadre rigoureux de limites et de réserves et, en ce sens, elle est une approche pertinente pour notre monde qui doit penser son développement différemment, avec une intelligence neuve, car simplifiée ; il sous-tend aussi l’idée de soutenabilité que doit désormais viser toute production.

Ravi Nadjou

Jugaad est effectivement à la fois réductible à faire mieux avec moins et à être durable et inclusif. Jugaad possède d’ailleurs sa dénomination occidentale propre : la frugalité. Il ne vous échappera pas au passage que ce changement sémantique accompagne un sensible glissement du concept qui se limite dés-lors à la possibilité de créer plus de richesses avec moins de ressources naturelles, soit la possibilité de produire plus à partir d’un investissement financier minoré. Je me garde de juger, seulement, dans leurs démarches, ces entreprises passent à côté de l’essentiel : le bénéfice à retirer de Jugaad ne doit pas profiter uniquement à l’actionnaire mais à la société toute entière. Votre action pour l’IPCC (GIEC) vous à, par exemple, conduite à réaliser l’impact du développement sur l’environnement et le climat et à mesurer une hausse tendancielle de 2°C de la température à la surface de la terre sous la condition du laisser-faire. J’habite la Californie, l’eau se raréfie et devient un facteur limitant ; cela m’inquiète, je réfléchis donc à des solutions.

Rajendra Shende

En visite récemment au Colorado, je rencontrai certaines personnes qui me firent état de l’usage qui était fait de leur eau, envoyée irriguer la Californie voisine. Et bien cette même situation, n’eut elle impliquée deux états voisins d’une même nation, aurait pu devenir source d’ un conflit sérieux et débouché sur une tragédie humaine. Mais dans ce cas précis, c’est à Washington que tout se joue, et de guerre, il n’est que celle des lobbies, guerre dont le résultat pilote les décisions de la nation. A ce jeu, la Californie, en plus d’être sêche, reste sourde à toute velléité de refonte de son modèle continuant à consommer encore et toujours plus de ressources. Lutter contre le changement climatique serait-il lutter contre un usage et une consommation indiscriminés et indifférenciés de la ressource ? Comment Jugaad participe t’il à la résolution de ce problème aux répercussions internationales qu’est l’eau ?

E-farming ou frugal-farming ?

Ravi Nadjou

Mon voisin dans la Silicon Valley, un néerlandais comme moi émigré, a imaginé et travaille actuellement à une solution élémentaire. : réutiliser l’ensemble des données de géolocalisation de Google Map, ce qui constitue en soit un acte de frugalité puisqu’il retraite et reconfigure à d’autres fins utiles un existant, le couple à un réseau de capteurs, chaque jour un peu moins chers, les dissémine selon une méthode et une répartition qu’il a judicieusement spécifiée, l’ensemble lui permettant d’assurer le micro-management d’une ferme et ainsi d’affiner son usage de la ressource mieux qu’il n’eut pu le faire si il avait eu à couvrir physiquement cette même exploitation qui, comme vous devez vous en doutez, est caractéristiquement gigantesque. L’usage de l’eau est ainsi commandé, en plus du proverbial bon sens paysan, en fonction de critères comme la nature des sols, la météo ou tout autre critère micro mesurable. A ma grande surprise, quand je lui demandai à quelle région en développement, Afrique, Asie, il destinait son système, il me rétorqua qu’il n’avait nulle ambition d’exportation et que son idée, il l’avait designé pour être utile à son état d’adoption, qui est, aussi, un grenier des Etats-Unis, la Californie.

Cet exemple est à mes yeux marquant : il démontre aujourd’hui l’existence d’une silicon valley à deux vitesses, l’une qui cherche à la fois son nouveau Facebook et à repousser les limites, soit le suprême raffinement technologique, et une autre qui abandonne la recherche technologique pure comme certains purent abandonner l’art pour l’art, et se satisfait d’un existant dont elle va plutôt chercher à le rendre plus proche et accessible de ses usagers et clients. La frugalité émerge alors comme un recours à la pression socio-économique manifeste de notre époque.

A cet instant, notre journaliste s’interroge sur les changements qu’induirait sur les métiers de la terre, plutôt de mentalité traditionaliste et routinière, ce passage aux TIC ; quel serait la déclinaison pratique de la frugal farm ou ferme frugale?

En Inde plusieurs solutions impliquent les technologies GSM dans l’aide aux fermiers ; à Pune, dans le Maharastra, le projet NanoGanesh propose une commande à distance de systèmes d’irrigation des terre ainsi que diverses fonctionnalités comme des mesures de consommation. Plus généralement, des combinaison appropriées de low-tech et high-tech permettent à des continent comme l’Afrique ou des pays comme l’Inde de faire le bond quantique du développement en offrant des solutions ad hoc aux besoins des activités traditionnelles, agriculture en tête, de leur économie et de les introduire aux activités industrielles et aux services. Dans le système Jugaad, les téléphones et satellites sont ainsi mis au service des 80% les plus pauvres.

Rajendra Shende

Outreaching the people (tendre la main ou rayonner jusqu’aux plus pauvres) ne disait-on pas lors de notre débat-public plus tôt dans la journée, ou Spreading the world with failures (répandre des failles à la surface du monde) n’ajoutait-on même ?

Mr Shende relate alors, dans une longue aparté, l’importance qu’eut pour la protection de la couche d’ozone la mise en œuvre d’un plan de communication globale expérimentant en première mondiale les médias sociaux pour faire émerger vigilance ou awareness et faire entendre du haut jusqu’à la base cet appel d’urgence. Il revient ensuite sur l’important virage qu’a représenté pour son pays, plus que l’informatique, la transition vers les technologies mobiles. Il témoigne alors de sa connaissance de paysans de son Maharastra natal qui utilise au quotidien l’appareil communicant pour se tenir informé des cours, pour analyser l’évolution de la demande, pour décider des semences à privilégier, pour se mettre au fait de bonnes pratiques et s’adapter à ce nouvel outillage ou s’informer du changement climatique. En écho, de sa connaissance parfaite de ces solutions nouvelles générrations, Mr Radjou lance tout de suite un nom et désigne un système :le LifeTool de Nokia, une application mobile qui, dans les pays en développement, apporte à tous une information complète allant des données météo du jour à des explications précises du fonctionnement des allocations sociales auxquels ils ont droit.

Ravi Nadjou

Comment assurer la propagation des bonnes pratiques ? Par exemple, comment faire passer une innovation du Tamil Nadu au Bihar ? Une étude de la banque mondiale, il y a quelques années, promettait à l’Inde une croissance du PNB de 2%, augmentation qu’elle conditionnait à la mise en œuvre d’une plateforme d’échange national sur les meilleurs pratiques agricoles. Digital Green, société incubée par Microsoft et intervenant dans ce registre, propose aux paysans une sorte de YouTube éducatif. Tous par une vidéo peuvent porter à la connaissance des autres les techniques de production qui ont améliorer ses rendements, et les figurer visuellement dans le contexte de son exploitation par la fonction vidéo de son mobile. Autour de cette plateforme s’agrège des ONG qui travaille sur le terrain même à propager l’utilisation du système, à l’adapter au contexte et à éduquer à sa bonne prise en main. Le site affiche pour ses meilleurs vidéos plus de 100 000 vues.

Fertilisation croisée

Rajendra Shende

Nous parlons d’un monde divisé entre milliardaires de la Silicon Valley et fermiers du Bihar, entre un plus de technologie et de sophistication et le meilleur usage de l’existant ; mais, quoi qu’il en soit, ce qui apparaît au grand jour aujourd’hui, c’est que les deux se rejoignent sur le problème essentiel à raisonner, celui de l’environnement. Vous seriez comme une réponse naturelle à ce mouvement, son inspiration !

Ravi Nadjou

Correct ! Je suis parti de Pondicherry, ville limitrophe du Tamil Nadu, est fait mes études en France pour ensuite traverser l’Océan et aller travailler aux Etats-Unis pour ensuite, récemment, boucler la boucle et revenir vers mon pays y étudier ses méthodes pour les fertiliser du meilleur de ce que la vie et l’expérience m’avaient enseigner. L’enjeu de l’époque me parait de parvenir à créer des ponts entre monde occidental et oriental. Il nous faudrait tendre au premier le miroir de la simplicité du second et tendre inversement au second celui de la technicité du premier. Il nous faut absolument établir le règne d’une co-création (ou création collaborative) volontaire dans son soucis d’assurer un partage plus juste des ressources de notre terre ; nous somme tous humains. Il est, en première instance, important de travailler à déterminer une structure fondamentale des problèmes à résoudre et de se questionner sur comment créer cette communauté mondiale de problem solvers ou résolveurs de problèmes. Je ne vous cache pas ma gène face à la persistance du cloisonnement national qui imprègne encore largement les modèles et analyses de l’OCDE.

Rajendra Shende

Je sais ! Les frontières ! Les frontières qu’entre eux les hommes se créent !

BoP ou Bottom of the Pyramide (Bas de la Pyramide)

Sort alors des débats cette question cruciale qui concerne les leviers qu’actionneraient Jugaad et qui permettraient de répondre aux enjeux et objectifs d’inclusion du BoP qu’appelle depuis quelque forums de ses vœux l’organisation.

Ravi Nadjou

Aujourd’hui, les gens parlent beaucoup d’ inclusive business, ce qui correspond à une volonté patente de considérer de plus en plus le BoP. Initialement pourtant, ce bas de la pyramide n’est perçu que comme un marché, celui des milliards d’individus qui ont un dollar à dépenser par jour. Mais émerge de cette vision restrictive une nouvelle approche partant du principe que ces personnes sont également producteur celle de constituer des écosystèmes les intégrant à la chaîne de valeur. Un cas d’école serait le projet Shatki.

Rajendra Shende

Je vous interromps car je sens que c’est l’endroit pour vous faire part de mon impression concernant Jugaad. Je me porterai à hauteur de civilisations : comment elles naissent, se développent et meurent. Ce qui les met au monde, ce sont souvent des idées simples autour desquels les hommes construisent et desquels émergent des technologies. Si il arrive qu’elles proviennent des tréfonds de la société, nous sommes dans la situation de Jugaad aujourd’hui, comme l’expose justement vos travaux et ceux de CK Prahalad. Ne nous leurrons en effet pas ; si les grands groupes se prennent de Jugaad ou frugalité, peu importe, ce ne sera pas à eu que reviendra la paternité du concept, mais au BoP, qui lui confère son dynamisme, sa créativité ou son art du reverse engineering appliqué aux situations concrètes et urgentes de son quotidien. Notre devoir est de travailler à un inventaire et à une étude intensive de ses pratiques intuitives, instinctives même, d’adaptation au milieu. Ce qu’il nous faut, ce sont avoir au complet les éléments d’un rebirth (une renaissance) que serait l’entrée du monde dans une ère de Jugaad, ce d’autant que cette réinvention devient de plus en plus urgente à mesure que ne défilent les heures ; time gap !

Ravi Nadjou

Tout à fait. Je vais vous livrer ma dernière obsession : ce constat angoissant que la dernière ressource vitale toujours plus drastiquement contingenté et rationné est le temps, ce temps qui nous paraît toujours intensément plus limité, TicTacTic….Clock is ticking (l’heure tourne) ! Ce sont, en tout cas, les conclusions du rapport du GIEC. Pour moi, présentement, l’essentiel est de partir à la chasse aux idées, peu importe d’où elles viennent car, au final, si il est bien une chose qui soit sans caste, démocratique et le mieux partagé qui soit, ce sont les idées. Le vrai problème qui m’apparait des-lors au premier chef est celui de faire poindre celles qui ne perçaient pas, i.e. travailler à des mécanismes de détection et de développement de ce génie populaire qui peuple la planète. Or Jugaad a ceci qu’il peut parfois déclenché des controverses sur sa nature même : pour certains, il ne serait qu’un moyen de contourner le système, de le bypass. Je le vois pourtant bien différemment et le défendrait avec les mots du Bouddha à propos du couteau : le couteau dans la main d’un assassin, est la vie retirée ; le même couteau dans la main d’un médecin devient la vie donnée. Jugaad n’est qu’un outils, dont le sangalp (l’intention, la destination) dépend du seul usage qui en est fait. Jugaad peut être égoiste et créer des externalités négatives comme il peut être juste et apporté bonheur et prospérité à la société dans son ensemble.

Inclusion

Rajendra Shende

Je vois d’un côté des riches qui le sont devenus grâce aux technologies ou en rusant du système ; ils regarderons Jugaad avec méfiance. Car vous parlez de bypasser (contourner, mais avec une note péjorative) le système, mais si Jugaad le fait, c’est à de juste fin, dans l’objet de se dépêtre de l’étouffante et discriminante marche de la société de consommation.

Ravi Nadjou

Juste, mais poussons le raisonnement. Dans les pays en développement, les individus sont encore en deçà de pouvoir profiter d’un système ; la notion de système y est massivement étrangère, de même que le concept de marché, encore vague, car réduit à la perspective de celui de la place du village ou de la grand ville. Ceci rend paradoxalement Jugaad prégnant dans ces pays ; il constitue la manière élémentaire de faire pour répondre et satisfaire à ses besoins. On me demande souvent ce que peut Jugaad pour ou contre le système, je réponds alors invariablement que, dans les pays en développement, santé, éducation et autres services sociaux sont toujours non inclusifs car uniquement accessibles à un nombre réduit d’usagers et écartant de larges fragments de population. Un tel système ne peut être dit démocratique puisque n’adressant l’ensemble de son peuple ; intervient alors, comme alternative ou substitut à un existant défaillant, Jugaad.

Je reviens sur le thème de la renaissance que vous aviez introduit précédemment. A l’ouest, nous avons un système, mais il s’affaiblit ou s’effondre, s’avérant en tout cas toujours plus inefficace. Jugaad et son état d’esprit particulier (ndlr : que l’on désignerait en France par Système D ou, plus prosaiquement, débrouille ou démerde) devient une alternative pertinente pour insuffler un vent frais et injecté un sang neuf apte à transformer le système, à le réinventer. Dans mes conseils, je ne manque jamais d’opérer le distinguo entre les différences conceptuelles qu’entretiennent sur la notion de temps Orient et Occident. En Inde, où sa perception est cyclique, aux questions sur le meilleur système à instaurer, j’insiste sur les idées de soutenabilité et d’inclusivité. A L’ouest, où son écoulement est linéaire, là où le système s’affaisse, je leur dit de se réinventer et, comme le suggéra en son temps Enstein, d’abandonner leurs vieux jeux de pensées, devenus depuis inopérants.

Rajendra Shende

Le problème de l’inclusivité se pose également en termes sociaux, sur les questions de disparité d’accès à la santé ou à l’éducation, ou selon le genre affiché. Comment envisagez vous que les technologies numériques puissent refermer cette plaie ouverte de l’inégalité et abattre le cloisonnement entre les classes ?

Ravi Nadjou

A l’avenir, je crois que des systèmes frugaux dont nous entendrons le plus parler, ceux d’éducation prendrons la plus large part. Sciences, mathématiques sont aujourd’hui enseignées par des systèmes de tutorials (support de cours), qui peuvent être des vidéos diffusées sur YouTube, comme l’a développé l’entrepreneur de la Silicon Valley, Salman Khan. L’ennui, pour un pays comme l’Inde, c’est l’insuffisance de la connectique haut-débit, à fortiori dans les campagnes ; elle freine l’usage du service. Pour confondre cet écueil a été développé (Nom du processeur ?) une puce miniature open-source (libre de droits de propriété) autour duquel à partir de pièces de récupération peut être constitué un ordinateur ad hoc. Les cours de la Khan académie sont ensuite chargés sur un disque dur à connecter à la machine de bric et de broc et voilà (ndlr : en français lors du dialogue). Le système est en phase de déploiement pour un pilote dans les villages les plus défavorisés du Maharastra. (rôle des ONG dans le déploiement du système?)

Rajendra Shende

Et comment fonctionnent les mises à jour ?

Ravi Nadjou

Soyons honnêtes, dans les conditions de la Khan Académie, les corps de savoir diffusés sont, à moins d’une grande découverte, des ensembles assez statiques et peu sujets aux évolutions ; le problème de l’actualisation n’est donc ni critique ni disqualifiant pour l’efficacité du système qui, rappelons le, à pour vocation d’ouvrir le savoir à tous. J’ajouterai en plus que ce système apporte, contrairement aux autres, une dimension auparavant absente, celle de ludicité ; la génération actuelle, contrairement à la notre, très textuelle et influencée par l’esprit traditionnel du Gurusesha (obéissance et respect au maitre), est très visuelle dans ses modalités d’apprentissage ; le P2P (Pair à Pair), parce qu’il est le mode d’interaction privilégié par les technologies numériques, devrait donc s’affirmer demain comme le mode privilégié d’éducation.

Dans la chaleur moite et étouffante de la salle de réunion aimablement mise à notre disposition, les débatteurs asséchés se réhydratent et prennent un break pour retrouver leur souffle. Sur l’air de la boutade, sera lancé par tous, dans l’intimité de ce sauna, un appel solennel contre le réchauffement… climatique, cela va de soi.

Rajendra Shende

La santé est un autre secteur du service public pour lequel un besoin pressant de réformes ce fait sentir. Il y a un ou deux ans de cela, le premier ministre Manhoman Singh (ndlr : encore en poste au moment de cet entretien) présenta un rapport sur la malnutrition et fit annonce d’un taux de 50% d’enfants de moins de cinq ans mal-nourris, ce qu’il dénonça comme étant une honte nationale. Se fait donc jour, dans notre pays, une nouvelle segmentation que pourrait être celle des mal-nourris, celle des biens-nourris et celle des obèses. Jugaad ne pose t’il pas à ce stade la question de l’ apport nutritionnel et énergétique nécessaire et suffisant pour retrouver une société saine, en bonne santé, réactive et créative.

Ravi Nadjou

Dans les pays en développement, il est couramment admis qu’un estomac affamé est comme un esprit en colère ; si vous ne nourrissez votre enfant il ne pourra être alerte et éveillé à l’école ; la faim crée une barrière à l’apprentissage. Prenons l’Inde ; 14 à 17 millions de personnes sont en âge d’entrée dans la vie active, ce qui est autant un danger démographique qu’une opportunité ; cela dépend de leur niveau de santé et d’éducation. Dans ces pays, si il est bien deux secteurs où l’innovation frugale et Jugaad apportent des réponses, ce sont ceux ci.

Des multinationales comme GE Healthcare ont compris que faire de simple copier-coller de leur méthode ou technologies sophistiqués pour investir les marchés émergents n’étaient pas efficient ; GE a ainsi conçu de zéro une gamme entière d’appareils médicaux moins coûteux et plus adaptés ; dans cette approche, le produit ne constitue plus l’essentiel de l’offre, ce qui lui fait passer un palier , c’est l’introduction d’un accompagnement, d’une collaboration avec les personnels soignants locaux pour à la fois échanger, jusqu’au plus lointain village, sur les bonnes pratiques d’usage et les évolutions à lui apporter.

Rajendra Shende

Et que pense Jugaad des pratiques thérapeutiques en phase avec la nature : ayurveda, mais aussi, hors-hindouisme, ne soyons pas exclusif, l’homéopathie ?

Ravi Nadjou

Voilà sept ans que l’ayurveda a apporté un bienfaisant et bénéfique changement à ma vie ; m’entretenant de la question avec d’autres indiens, nous réfléchissions à manière de penser la connexion entre cette science millénaire et les nouvelles technologies.

Rajendra Shende

Ce genre de croisements ont, je crois, été entrepris autrefois ; c’étaient des cas ponctuels, isolés, liés à des rencontres et échanges entre particuliers, lors de voyages par exemple alors qu’aujourd’hui, le monde n’a jamais été aussi ouvert et accessible que sous le règne de ce nouveau lien, l’IT. Si j’osai, je dirai que le modèle ayurveda a peut être eu son temps, mais ce qui importe, c’est de maintenir vivant la connaissance de cette science traditionnelle qui, si j’en crois ma compréhension de Jugaad appliquée à la santé, pourrait être une source de référence pour la genèse des traitements de demain ; .cela est valable pour toute médecine traditionnelle au delà de la dichotomie est/ouest.

Ravi Nadjou

Toute connaissance est bien contextuelle, n’est ce pas ? Elles ce sont toutes développées sur la base de certains besoins et la pression des conditions de vie. En Inde, l’importance accordée à la connaissance et à la compréhension holistique de la nature ont débouché sur la constitution du savoir ayurvédique. En Occident, l’approche cartésienne et causaliste a, à travers les expérimentations chimiques, conduit à une médecine scientifique.

Inutile de nous écharper sur la supériorité pratique éventuelle de l’une sur l’autre, l’enjeu étant maintenant de tirer le meilleur de chacune, c’est à dire, comme il se dit dans la Silcion Valley, de faire que 1+1 = 11, soit d’obtenir quelque chose de plus conséquent que la simple somme des marginales.

En appliquant cette réflexion à la science en général, je pense qu’il est temps pour un changement de paradigme et l’introduction d’une recherche ouverte et frugale où les scientifiques collaboreraient ensemble à l’édification de solutions communes. En France, par exemple, le biologiste François Taddéi a fondé à Paris le CRI (Centre de Recherche Interdisciplinaire), un institut où chercheurs du monde travaillent à co-créer au plus vite les médicaments et appareillages médicaux de demain aux meilleurs des coûts et des besoins. Avec ces premiers pas de la science frugale, ce que je vois c’est l’effritement des murailles du dernier bastion insulaire et élitiste de la société qu’est la recherche scientifique classique, chose que je crois être bonne.

Rajendra Shende

Juste, très juste ; l’IT a ce potentiel de réunir les individus, de diluer, de dissoudre, voire d’abolir les frontières et de contribuer à la résolutions des problèmes les plus ardus du monde d’aujourd’hui : changement climatique, eau, nourriture, santé….

Prenons les énergies renouvelables ; nous en soupçonnons l’existence sinon d’un infini, du moins d’un abondant gisement. Seul souci, les insuffisances de leur rendement ; dans le cas du photovoltaïque, nous n’atteignons encore qu’un pénible 22% d’efficacité du processus de conversion ; le seuil qui rendrait viable économiquement la substitution énergétique n’est pas encore atteint. L’IT aura t’elle la capacité de résoudre ce gap, ce fossé et de mobiliser les scientifiques du monde comme parvint à le faire dans le nucléaire le projet Manhattan ? La chose ne permettrait elle pourtant, en même temps d’améliorer les performances, de mutualiser les efforts et réduire les coûts ? Toute fracturations ou tous forages horizontaux deviendraient alors superflus ! De même, ce nouveau et dernier mantra, en forme de provocation, ne dégoupillerait pas les conflits géopolitiques que promettent les luttes futurs pour la possession des sous-sols et le contrôle gazoducs : le solaire pour tous !?

Ravi Nadjou

Pour un changement du mode de contrôle des énergies, j’acquiesce ! Je vous confirme que le mouvement est même déjà engagé avec la convergence entre réseaux numériques et électriques, smart grids etc…

Nous l’avons compris, la technologie doit permettre maintenant d’optimiser l’utilisation de la ressource ; sa vocation pour demain est de participer à fonder un meilleur système, la difficulté étant de devoir assurer une transition en marche où coexiste les visions antagonistes que sont celles d’hier et celle de demain. D’un côté réfléchir à faire mieux avec moins, de l’autre investir dans les technologies pour changer le système.

Honnêtement, à ce petit jeu, je vois que l’Inde à un don. Si vous vous prenez le projet Mangalayaan d’exploration de Mars, vous voilà face à une réalisation typique du génie frugal, qui, à ambitions et objectifs équivalents, à coûter 1/10e de ce qui a été investi dans son alter-égo développé par la NASA, le tout en trois fois moins de temps, preuve de son efficacité.

L’avenir est brillant pour l’Inde et l’esprit Jugaad ; je suis optimiste. J’insisterai simplement, certainement comme vous, sur la nécessité de créer une global awarness community (communauté globale de veilleurs ) où les savoirs, plus en concurrence, aucun supérieur à l’autre, viendraient délivrer, ensemble, leur meilleur au bénéfice, et pour le bonheur, de l’humanité.

Rajendra Shende

Monsieur, un frugal mais néanmoins grand merci pour avoir accepté notre invitation.FIN END



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